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1914: LE XVème CORPS DIFFAME: LES FAITS L'honneur rendu aux soldats du 15e corps. Récit reconstitué. Maurice Mistre. Des Républicains diffamés pour l'exemple. 2004
La mobilisation-concentration 2 août et suivants Le dimanche 2 août 1914, l'ordre de mobilisation est affiché dans toutes les mairies de France. Le garde-champêtre, au son de son cornet ou aux roulements de son tambour l'annonce, gravement, dans les communes de la XVe région. Les réservistes, rassemblés, relisent l'affiche sur le panneau grillagé de la mairie, ils s'interrogent. Ils vont abandonner leurs travaux en cours, leur famille et leur village pour ce que nous savons être la plus grande boucherie du XXe siècle. " La mobilisation n'est pas la guerre !" Mais elle n'en est pas loin. À cette époque, le recrutement des régiments est régional, le 15e Corps d'Armée de la XVe région militaire se compose de soldats de 20 à 33 ans, venant des Alpes-Maritimes, d'Ardèche, des Basses-Alpes, des Bouches du Rhône, de Corse, du Gard, du Var et du Vaucluse. Au moment de la déclaration de guerre, les Bataillons de Chasseurs Alpins terminent leurs manoeuvres dans les Alpes. Ils réintègrent aussitôt leurs garnisons, le 6e BCA à Nice, le 23e BCA à Grasse, le 24e BCA à Villefranche et le 27e BCA à Menton pour y effectuer les opérations de mobilisation. " Dés notre arrivée, les capitaines et sergent-majors, sont avertis de Nice, que la mobilisation sera vraisemblablement décrétée dans le courant de l'après-midi et d'avoir dès maintenant à commencer les opérations. Départ 14 heures 30, sous le commandement du Lieutenant Marc. Les femmes pleurent. Notre passage à Lucéram, jette l'émoi dans la population, à Escarène nous apprenons que l'ordre de mobilisation vient d'être communiqué officiellement. " Le 4 août, munis de leur feuille de route rose, ils regagnent leurs casernements de mobilisation et retrouvent les autres mobilisés et ceux qui y effectuent leur service militaire depuis trois ans. Les fantassins se présentent à Nîmes (30) et à Alès (30) pour le 40e Régiment d'Infanterie, à Pont Saint Esprit (30), caserne Pépin pour le 55e RI, à Privas (07), à la caserne Rampon au 61e RI, à Marseille (13) au 141e RI à la caserne du Muy, au 58e RI à Avignon (84), au 111e RI, à la caserne Gazan, à Antibes (06), au 112e RI à la caserne Grignan à Toulon (83), à Digne (04) et à Hyères (83) au 3e RI et enfin à Ajaccio (20), caserne Miollis. " Il fallut se rendre en notre garnison à Antibes Caserne la hache. Dont on nous y a habillé tout de suite en rentrant en nous donnant tout le fourbi et tout ce qui nous fallait, épuis on nous a loger dans un ancien couvent, la coucher sur la paille on y passa toute la semaine en faisant 3 heures d'exercice en toute la journée. " Le 5 août, les premiers éléments du 15e Corps d'Armée partent rejoindre la IIe Armée en Lorraine, au sud de Nancy. Contrairement aux clichés enthousiastes du " tous à Berlin ! ", la population est anxieuse, lors du départ. " Larmes au moment de la séparation. Personnellement je n'ai aucune appréhension, mais qui sait ce que l'avenir réserve. Il circule déjà un tas de racontars. La guerre doit durer 15 jours, etc. " " La gare était bondée de gens des pauvres mères qui pleuraient, des filles de tout âge qui nous donnez à boire et nous disez au revoir en même temps. " " Dans les gares où le train s'arrête, beaucoup de volontaires (jeunes filles en particulier) nous donnent à boire, nous offrent des médailles etc. Au fur et à mesure que nous avançons, on sent plus d'inquiétude chez les civils." Le Sous-préfet de Toulon écrit au Préfet de Draguignan " les tentatives de mutilations et les suicides se multiplient de façon inquiétante jusqu'à un par jour... " Le 1er bataillon du 58e RI laisse sa garnison d'Avignon à 17h25 et s'embarque à la gare à 20h54. Le 40e RI quitte Nîmes avec le 19e RA en 3 échelons : le 2e bataillon d'Alès à 20h25, l'Etat-major du RI et le 3e bataillon de Nîmes à 21h25 et enfin le 1e bataillon d'Uzès à 22h25. Le 173e RI d'Ajaccio est acheminé par transport escorté à Marseille où il débarque le lendemain et où il stationnera jusqu'au 12. Le 6 août, un train part de Digne, deux autres quittent Hyères transportant le 3e RI pour le front de l'Est. Les 2e et 3e bataillons du 58e RI s'en vont d'Avignon. Le 61e RI quitte Privas. Le 7 août, à 3h30, le 58e RI débarque à la gare de Vézelise suivi du 40e RI à 4h24 puis du 61e RI. Les premiers sudistes découvrent la Lorraine. Les Toulonnais du 112e RI et les Marseillais du 141e RI quittent leurs garnisons pour l'Est. Le 58e RI va occuper les cantonnements suivants : 1er bataillon Crévéchamps ; 2e bataillon Benney ; 3e bataillon Ceintrey. A 17h, il reçoit l'ordre de se porter aux avant-postes à Velle-sur-Moselle. A 22h, le 3e bataillon du 40e RI est sur la ligne Vigneulles-Barbonville, le 1er bataillon en liaison avec le 58e RI au nord de Saffais et le 2e bataillon cantonne à Velle-sur-Moselle et à Haussonville. A Pont-St-Esprit, le 55e RI s'en va entre 16h30 et 23h. Le 3e RI arrive à Diarville dans la nuit. Le 8 août, dans la nuit, le 112e R.I et le 141e RI suivent les premiers arrivés à Diarville. Le 55e RI arrive dans la nuit. Le 1er bataillon débarquant à Diarville et les 2e et 3e bataillons à Vézelise s'en vont cantonner respectivement à Saint-Remimont, à Velle-sur-Moselle et à Saffais. A 10h30, le 40e RI se porte dans la région d'Anthelupt et à 11h, le 58e RI le rejoint à la bifurcation de la route de Saffais et Ferrières, pour former la 59e brigade. Le 24e BCA est dirigé sur Saint Nicolas du Port. Le 9 août, le 112e R.I de Toulon rejoint Tantonville, intègre la 29e Division d'Infanterie composée des 57e et 58e Brigades avec les 3e R.I de Digne/Hyères et 141e R.I de Marseille. Le Quartier Général de la 29e DI est à St Nicolas, celui de la 30e DI (19e RA, 40e RI et 58e RI) à Dombasle. Entre 5h16 et 12h, trois trains partent d'Antibes, avec le 111e R.I compléter la 57e Brigade d'Infanterie. " De très bon matin a 3 heures on entend le Sergent de semaine Sergent qui crie allon debout mes enfant dépechons nous car c'est ce matin que l'on part. D'un seul coup nous furent tous debout chaqu'un brouqua son sac et son fusil et nous dans un quart d'heures tous rassemblés dans la me le coeur content d'aller défendre notre pays la France. Le capitaine ayant commendé sac au dos je m'enfille mon sac je prends mon fusil et nous voila à l'embarquement. " Le 1er Bataillon du 40e RI est à Arracourt avec l'Etat-Major du régiment, le 2e à Athienville, le 3e dans la forêt de Bezange. Le 6e BCA part de Nice en deux échelons. Lagarde 10-11 août 1914 Le 10 août, le 40eRI, le 58e RI et le 19e RA cantonnent dans la région de Xures. Les Allemands occupent le village de Lagarde à quelques kilomètres de là. À part quelques rares coups de fusils entre éclaireurs, le secteur est calme. Les consignes de Castelnau, commandant la IIe Armée sont d'éviter tout accrochage tant que la concentration n'est pas terminée. Plusieurs patrouilles sont envoyées pour connaître le dispositif ennemi : " L'ennemi occupe le village de La Garde ainsi que la Côte 283 qu'il a organisée défensivement. On aperçoit une tranchée sur le versant ouest de 283. Le fond du ravin qui sépare cette position du mamelon est de Xures présente des éléments de haies, près desquels sont creusés quelques trous de tirailleurs. La route de La Garde à Ommeray est également occupée par de l'infanterie à laquelle se sont adjoints des Hussards et des Chevaux Légers. L'effectif de l'infanterie ne peut pas être fixé d'une façon certaine, le développement des ouvrages permet de supposer qu'il peut être de deux compagnies, L'effectif des cavaliers est incertain, Il n'a pas été aperçu d'artillerie " Le commandant du groupe envisage alors de prendre le village de Lagarde. À 11h, le 2e bataillon du 40e R.I se déplace vers Parroy et doit attaquer dans la forêt. À 15h, le 3e bataillon du 58e R.I fonce sur Xures, avec comme objectif d'occuper la côte 283 dominant Lagarde. À 16h30, les batteries du 19e RA en position de tir au nord-ouest de Xures, pilonnent le village dont on aperçoit le clocher et la côte 283 au nord-ouest où se trouvent des tranchées ennemies. À 19h15, comme prévu, le feu cesse. L'infanterie attaque, enlève sans peine la côte 283 qui semble avoir été évacué et entre dans le village à 21h. Selon toutes apparences les Allemands se sont repliés en hâte. Côté français, aucune perte n'est à déplorer. La manoeuvre a réussi. Le commandant informe qu'il a enlevé Lagarde à la baïonnette ! Cette relation provoque une réaction violente, visiblement son initiative n'a pas été appréciée. À 23h, le 40e RI s'organisent pour défendre le village, côtés est et sud, côtés est et sud, le 58e RI, côtés nord et ouest. La nuit est tranquille. Dès le jour, le café pris, les travaux de défense sont poursuivis. Le 27e BCA s'embarque à Nice et court vers la frontière de l'Est. Le 11 août, vers 8h30, un fort détachement ennemi s'avance par le nord-est. Croyant n'avoir affaire qu'à quelques éclaireurs ennemis, la mise en batterie tarde. Aussitôt les premiers obus français tirés, deux batteries du 19e RA sont prises sous le feu d'une artillerie allemande très supérieure en nombre. Vers 10h, les Bavarois traversent le bois et surgissent à quelque deux cents mètres des canons de 75. Les artilleurs français se font tuer sur place défendant héroïquement leurs pièces. Dans le village, la situation n'est guère meilleure, la position est intenable. Sur le 58e RI au nord, fond le 131e allemand, au Nord-Est, le 2e chasseurs bavarois investit le village alors qu'au Sud-Est, le 40e RI affronte le 138e allemand. " La rue est balayée par une grêle de balles et d'obus ; des hommes tombent, nombreux ; d'autres se dispersent, s'abritent. On rameute des isolés éperdus. " Le 40e RI et le 58e RI se défendent bravement. " Les uhlans bavarois, à leur tour, attaquèrent le village, mais ils furent complètement fauchés par les mitrailleuses. Il y avait des mitrailleuses partout, notamment dans le clocher. Aussi, lorsque ce dernier fût touché, on sentit un fléchissement chez l'ennemi, bien qu'une fusillade intense continuait à pleuvoir des maisons. Spectacle pénible... Il y a des blessés partout et des deux partis. On les porte dans les granges, on les y couche. L'évacuation se fait lentement jusqu'à 2h de la nuit et de nouveaux blessés arrivent sans cesse. De notre côté nous avons deux bataillons et deux régiments de cavalerie presque anéantis." Sous ce terrible bombardement et sous ces rafales de mitrailleuses, les Gardois et les Vauclusiens mais aussi nombre d'Héraultais tombent, ils sont les premiers " Morts pour la France ". A 10h30, l'enveloppement est inévitable, l'ordre de repli est donné. Jusqu'à 14h, c'est le recul sanglant. Les restes des régiments reviennent à Serres vers 17h. Les deux bataillons sont exterminés. Le bilan de cette attaque insensée est de 468 tués, 690 blessés, 928 disparus, 42 officiers et sous officiers hors de combat et 2 batteries d'artillerie perdues alors qu'il fallait éviter les engagements inutiles et que la conquête de Lagarde ne revêtait aucun intérêt stratégique. On commence déjà à douter de la vaillance des Méridionaux : Le lieutenant d'Etat-major du 20e Corps Antoinat déclare " Que le régiment n'a pas fait ce qu'il devait faire, qu'il a manqué au devoir militaire en ne tenant pas sur ses positions. Que le temps des discours d'Avignon est terminé et que la seule façon de laver la faute était de se sacrifier ici, que les Provençaux avaient prouvé ce qu'ils étaient." Réflexion qui sera lourde de conséquences dans quelques jours ! Pendant ce temps, les Azuréens du 111e RI cantonnent à Ceintrey et les Varois du 112e RI à Rosières. Les Bas-Alpins du 3e RI sont à Drouville et les Marseillais du 141e RI aux avants-postes à Haraucourt. Le 6e BCA débarque à Vézelise. Le 12 août, tout le monde reste sur les positions. Le 1er bataillon du 55e RI est dans les environs de Parroy. Le 3e bataillon occupe la position du Four à chaux et le 2e bataillon, Hoéville. Le soir, le 1er bataillon du 111e RI est à Saffais, le 2ème bataillon à Ferrières et le 3ème bataillon à Vigneulles. C'est le départ de Marseille pour le front du 173e RI. Le 23e BCA s'embarque à Nice. A 2h, une alerte est donnée à toutes les troupes, à la suite d'une fusillade d'avant-postes, accrochage à Juvrecourt. A la suite de ces événements, le 40e RI reçoit l'ordre de se replier le 13 au col de Foucray. " Dans tous les cas ne vous faîtes pas tant de mauvais sang. Moi, je vis dans le bon espoir de retourner maintenant mais je ne puis rien assurer, nous sommes plusieurs de l'environ et nous avons tous fait les mêmes réflexions. Ce n'est pas de notre faute et on ne peut rien n'y faire, il n'y a qu'à faire son devoir le mieux possible... Enfin, si ça va toujours comme à présent, nous retournons, nous n'avons pas encore vu l'ennemi, et puis le jour de la rencontre, nous y ferons face, il faut avoir bon courage et tout ira bien." Le 13 août, dans la nuit, à Haraucourt, Castelnau, commandant la IIe Armée suivant le plan XVII, donne l'ordre pour le lendemain d'attaquer et d'envahir la Lorraine annexée. Les objectifs sont fixés : Moncourt pour la 57e B.I (111e et 112e) et le Bois du Haut de la Croix occupé par les Bavarois pour la 58e (3e et 141e). Le village est entouré de collines boisées favorisant la défense, garnies de réseaux de fils barbelés et de chevaux de frise, des batteries d'artillerie lourde y sont installées. Le 23e BCA débarque à Ceintrey. Moncourt 14-15 aout 1914 Le 14 août, à 4h, deux colonnes se forment, la 29e D.I (111e, 112e, 3e et 141e RI) suit l'itinéraire Drouville puis Serres. A 6h30, tout le 15e Corps est rassemblé sur les hauteurs Serres-Valhey. A 8h30, la 30e D.I arrive à Serres. La 29e D.I parvient vers midi aux environs de Bures. Elle est arrêtée à la côte 279 entre Rechicourt et Bures aux environs de Coincourt. Les Provençaux comprennent que le baptême du feu est imminent. C'est dans les dernières heures de l'après midi à la frontière même entre Coincourt et Moncourt qu'ils vont le recevoir. Le 3e RI à 11h30, reçoit l'ordre d'attaquer le bois du Haut de la Croix que la cavalerie a signalé comme fortement occupé par l'ennemi. Brusquement les premiers obus éclatent au-dessus de Coincourt révélant la présence d'une artillerie ennemie assez importante. L'attaque se fait sur un terrain défavorable, avec quelques meules de foin. Les compagnies de tête débouchent du village et sont aussitôt violemment prises à partie par les salves de l'artillerie ennemie. L'assaut mené à découvert et les pantalons rouges des hommes en font des cibles idéales. 14h, l'ordre d'attaquer Moncourt arrive, le 112e RI fonce droit au but, il est encadré au sud par le 3e RI et au nord par le 111e RI qui s'y glisse par un vallon. Ils franchissent la frontière et atteignent le sud-ouest du bois. A 15h, le 141e RI attaque vers le cimetière de Coincourt, fusils et mitrailleuses crépitent. La progression devient de plus en plus lente et coûteuse. L'ennemi caché dans ses tranchées est invisible. Les hommes s'abritent derrière les arbres et dans les fossés qui longent le bois. C'est un enfer ! Les clairons de la 57e brigade à 18h30 sonnent la charge. " À 6h10 du soir une grande clameur retentit, nous venons de franchir la frontière, nous mettons baïonnette au canon et en avant sous une pluie d'obus et de balles, les camarades commencent à tomber ; le feu devient de plus en plus horrible, nous ne rigolons plus, mais nous avançons toujours, nous entendons sonner la charge, nous nous mettons à l'abri derrière un talus et nous avançons par bonds, les balles sifflent sans discontinuer et les shrapnells éclatent à hauteur de la ceinture. Enfin nous quittons cet abri et nous partons en avant, nous faisons un petit abri avec le sac et de la terre devant et nous attendons, enfin à 8h, on n'entend plus rien. " Les " pantalons rouges " subissent un feu nourri. Péniblement les premiers éléments du 2e bataillon du 111e RI atteignent la cote 284 qui domine Moncourt où ils sont criblés par notre artillerie dont le tir est trop court ! Lorsque les bataillons d'attaque, au prix de pertes sévères, pendant les deux heures de l'approche et les trois heures où ils sont restés sans broncher sous un bombardement des plus violents, parviennent à hauteur et au sud de Moncourt, aux rafales d'artillerie se joint un feu intense d'infanterie et de mitrailleuses. Après deux tentatives infructueuses et sanglantes pour déboucher du bois à l'ouest, les fantassins franchissent les haies qui masquent les tranchées allemandes, s'élancent vers le village qui est enlevé en une demi-heure. Ils chassent les mitrailleurs bavarois qui se replient. Le 40e RI reçoit l'ordre de prononcer une contre-attaque sur le flanc gauche ennemi. Quand la nuit arrête le combat, les 3e RI et 141e RI mélangés sont parvenus à 500m environ du bois de Haut de la Croix. Mais l'ennemi s'enfuit et son artillerie se tait. Le soir, les biffins s'inquiètent, les régiments sont à court de munitions, ils comprennent que personne ne les ravitaillera. Les rares habitants de Moncourt jusque là cachés dans leurs caves, apportent quelques provisions. Des patrouilles vont à la recherche des nombreux blessés qui se croient abandonnés. " Dans la nuit on marchait sur les morts, on entendait les blessés qui criaient, d'autres nous suppliaient de les achever, d'autres de les faire boire, nous n'avions pas une goutte d'eau." La 29e D.I a subi de lourdes pertes, plus de 327 tués et 2 200 blessés, le 3e RI et le 111e RI étant particulièrement atteints. La rage éclate chez les soldats : " Des fantassins ennemis, nul n'en vit en ce jour du 14, pas plus que d'artilleurs. D'où partaient ces balles qui fauchaient nos rangs ? Où s'étaient enfouies ces batteries dont les obus creusaient des entonnoirs de huit mètres de largeur et réduisaient en bouillie les malheureux qu'ils atteignaient ? Rien. On ne voyait rien !" Pourtant les réprobations vis à vis du 15e corps continuent : " C'est, paraît-il, cette attaque tardive du 15e CA à notre droite, qui nous a valu l'arrêt de toute la journée sur les positions que le 20e CA a enlevées à midi. Il fallait aligner les corps d'armée avant de repartir à l'attaque de l'objectif suivant, les hauteurs de Juvelize." Le 20e corps est à Chambrey, le 16e corps à Moussey. Le 15 août, la pluie commence à tomber et ne cessera pas de plusieurs jours, les soldats marchent à travers les blés où gisent des victimes du combat qui croyant à une retraite, supplient qu'on les emmène. Les infirmiers du 15e corps leur donnent les premiers soins leur sont donnés. A Coincourt, ils réquisitionnent des charrettes et de la paille pour transporter les blessés. Le 55e RI occupe la lisière du plateau face à Coincourt. Le 61e RI est à sa gauche et ne peut déboucher du plateau à cause de l'artillerie lourde qui bombarde sans arrêts. Un engagement d'avant-garde se produit à Moncourt. La 29e D.I est relevée et arrive, sous une pluie torrentielle, à 2h du matin au bivouac à la Ferme Saint-Pancrace, entre Rechicourt et Bures dans la boue. Le 173e RI débarque à Jarville. Le 20e corps est à Vic, le 16e corps à Azoudange. Le 16 août, à 3h15, les chasseurs du 6e BCA partent, trempés jusqu'aux os, du bivouac de Hénaménil pour Xures où ils arrivent à 7h30. ils se portent ensuite à travers champs à Lagarde. C'est là qu'ils voient pour la première fois, les terribles traces des combats précédents du 11 août : village dévasté, premières ruines, premiers cadavres et premières tombes. " Nous trouvons des armes, des effets abandonnés, une batterie d'artillerie presque complètement détruite, dont par mesure d'hygiène sans doute on a brûlé les chevaux morts. Qui ? Dans un champ de betteraves, je découvre la première tombe sur laquelle on a mis bien en évidence les écussons (19e artillerie) drôle d'impression ! Par la suite on découvre d'autres tombes (Français et Allemands). Dans Lagarde même, amas d'effets armes, selles, caissons d'artillerie démolis, cadavres dans le canal, même des blessés français que les Allemands partis la veille, n'ont pu amener. " La marche en avant reprend vers le Bois du Haut de la Croix, puis Ommeray, direction Bourdonnay. Le 40e RI est rassemblé au nord du bois avec le 58e RI et la 29e division. Les positions sont organisées en vue d'un retour offensif de l'ennemi. Par suite d'une méprise les troupes du 112e RI qui marchent en avant se fusillent entre elles pendant un ¼ heure ! A 17h, coup de main du 40e RI sur le château Marimont où se produisent encore des bavures, l'ennemi s'étant retiré. La progression continue sous la pluie en Lorraine annexée, l'ennemi restant insaisissable sinon invisible. 18h, le 6e BCA et un bataillon d'un 141e RI se portent sur Bourdonnay où ils arrivent à 19h après avoir eu quelques escarmouches avec des patrouilles de uhlans. Installation du cantonnement d'alerte, démolition du poste télégraphique. Le 17 août, les Provençaux exténués se dirigent vers Bourdonnay. A 4h30, ils en repartent pour le château de Marimont. Le 111e RI cantonne à Gelucourt. La 30e Division envoie ses avant-gardes sur la Seille face à Marsal. Le 55e RI est aux avant-postes à Lezey. Le 58e RI et le 40e RI cantonnent à Juvelize et à Marsal. Une compagnie du 112e RI est détachée pour garder les écluses de l'étang de Lindre. Le 6e BCA arrive à 8h à Gelucourt puis se porte au village de Guéblange. La cavalerie et une patrouille d'une compagnie du 6e BCA pénètrent dans Dieuze qui n'est pas occupé par l'ennemi. Le 18 août, la marche est pénible, la pluie continue à tomber, le sol est détrempé, les fantassins s'enfoncent jusqu'aux chevilles dans la boue. Ils arrivent aux abords de Dieuze. Le 173e RI passe la frontière près de Lagarde et vient cantonner à Ommeray. Aucune action n'est prévue ce jour-là, les Méridionaux se reposent, s'ils savaient ce qui les attend ! " Pour le moment tout va bien. Espérons que ce sera toujours la même chose. " Ils en profitent pour écrire à sa famille, pour certains, ce sera la dernière lettre. " Nous avons passé la nuit dans un petit village de notre Lorraine annexée qui a nom Bourdonnay, où nous avons reçu un accueil charmant de la population, ces jours derniers encore molestée par la botte prussienne... " Des avant-gardes de la 29e sont à Zommange. Le 20e corps a dépassé Château-Salins et aborde Conthil. Le 16e corps longe le canal des Salines, de Zommange à Rorbach, où il est attaqué. Dieuze 19-20 août 1914 Le 19 août, à 4h du matin, le 15e Corps s'élance. L'ambiance est lourde et tendue, Guido soldat du 141e RI à son copain : " Cette fois-ci, ça y est. Tu y es, mon vieux, c'est pour de bon ! " Pourtant informé, Castelnau avise ses divisions " qu'elles n'avaient rien devant elles". C'est le traquenard ! Le 173e RI arrive en réserve à Dieuze. La 29e DI passe Dieuze et s'achemine vers Bidestroff dans une région occupée depuis 1870 (44 ans déjà), organisée, jalonnée et signalée pour l'artillerie ennemie. 1h45, le 6e BCA quitte Guéblange endormie. Au petit jour, il arrive à Dieuze. A 5h du matin avec le 23e BCA, il attaque Vergaville. Une courte résistance ennemie se produit. Le village est pris. La résistance brisée, la progression continue au Nord du village, dans une région peu accidentée, nue, dominée par les hauteurs de Benestroff où sont les observatoires et les abris de l'artillerie lourde ennemie. 8h, le baptême du feu ! L'artillerie allemande ouvre un feu violent. " Immédiatement au dessus de nous, quatre nuages très blancs se sont formés, haut situés, se détachant nettement dans le ciel très bleu. D'autres salves suivent ; de petits éclairs jaillissent, à peine visibles dans la clarté d'été ; des flocons d'un blanc éclatant, très denses, grossissent en un clin d'oeil, une détonation sèche arrive jusqu'à nous, avec des débris qui tombent sur les terres labourées. Nous découvrons ce que sont les obus à shrapnells, éclatés très haut. Mais ce n'est qu'un début ! De gros " percutants ", à mélinite, croyons-nous, labourent le sol avec un bruit affreux, projetant en l'air des colonnes de terre et de fumée noire. Le tir paraît minutieusement réglé, d'après des repères exacts. L'"arrosage" est systématique. Les obus tombent quatre par quatre, ou six par six. " Les chasseurs se plaquent dans un chaume avec les gerbes non ramassées pour couvert. " Bien groupés par sections, nous essayons de progresser par bonds. Les sections, se couchant brusquement au moment ou l'obus arrive, et les hommes, collés les uns aux autres, la face contre terre faisant ce qu'on appelle " la tortue " nous réussissons à faire ainsi 800 ou 1000 mètres. Bientôt nous sommes cloués au sol. La canonnade fait ses ravages sans arrêt, sans répit. La terre est labourée par des obus percutants, de tous côtés, à droite, à gauche, en avant, en arrière de nous... Quant aux obus explosifs, ils nous arrosent de leurs shrapnells... A gauche de la route de Vergaville, dans une ferme au poste de secours, des brancardiers apportent les premiers blessés. D'autres passent, à pied ou en voitures réquisitionnées, se dirigeant vers Dieuze. Chaleur atroce, rien à boire. Des maisons, des meules flambent Le 112e RI se rassemble à 7h30 à 1200m nord-est de Dieuze, entre la route de Vergaville et le ruisseau de Verbach. A 10h, il reçoit l'ordre d'attaquer par le sud le village de Bidestroff. Le 111e RI ayant pour objectif la côte 230 au nord du moulin de Bidestroff, longe le ruisseau de Verbach au nord du canal des salines. Les hommes avancent dans la plaine bordée de collines où les Allemands sont retranchés. Pendant dix heures, c'est une pluie de fer. Sous ce bombardement, à l'instar des chasseurs alpins, ils se protégent, leur barda sur la tête puis bondissent en avant. Les troupes, avec une ténacité remarquable, progressent lentement, repoussant l'infanterie allemande. A midi, le 112e RI et le 141e RI enlèvent Bidestroff en passant par la ferme Steinbach. " Elle s'empare de Bidestroff, malgré la mort qui fauche ses rangs ; elle se cramponne à la terre, mais vraiment ç'en est trop, le sang coule partout ; partout des morts, des blessés qui hurlent et la mitraille traîtresse taille et retaille dans cette chair déjà pantelante ou à l'agonie. " Le 111e RI s'en va occuper la ferme Wolfert, à droite de Bidestroff. Le 3e R.I. est en réserve de division derrière un talus au N.-E. du moulin de Bidestroff. En fin de journée, les 6e et 23e BCA se reportent à la hauteur de Vergaville sur la route de Dieuze, derrière Steinbach pour passer la nuit. Dans la plaine les brancardiers vont relever les blessés. Du coté de la 30e DI, à 6h, le 55e RI en marche d'approche franchit la Seille sur des ponceaux organisés par le 7e Génie, traverse Dieuze avec le 61e RI et Kerprich. A la sortie de ce village s'engage les premiers combats. Le 55e RI a pour objectif une ferme située entre la voie ferrée Dieuze-Vergaville et la corne nord-est d'un bois. Sous un feu violent d'artillerie lourde, le 3e bataillon progresse jusqu'à la hauteur au sud-ouest de Guébling. " Arrivons à 9h au pont du chemin de fer, les obus nous arrêtent, on les regarde tomber avec curiosité, car c'est pour la première fois qu'on les voit de si près. Les Allemands tiennent bon et arrêtent notre marche sur Berlin. Le combat est acharné. Le soir nous transportons beaucoup de blessés. " Le 61e RI est accueilli par un violent feu de mousqueterie dans la plaine de Vergaville. Au nord-ouest de Dieuze, le 40e RI et le 58e RI venant de Saint-Médard s'engagent dans la forêt de Bride et de Koeking. Le 40e RI va occuper le grand carrefour de la forêt, à la place du 58e RI qui se porte à la lisière Nord de la forêt pour y assurer la liaison avec le 20e corps. Dès son arrivée à cette lisière, le 58e RI subit une violente attaque. " Ce fut un véritable carnage pour nous. Avant même d'arriver à la lisière du bois, on nous reçut à coup de fusil, et en arrivant dans le ruisseau de la lisière, nous fûmes décimés par le 77 et les mitrailleuses... " Deux compagnies du 40e RI sont envoyées à son secours. A 18h, le 58e RI est obligé de se replier sur le carrefour central où il retrouve le 40e RI. A 21h. le 173e RI vient relever le 40e RI qui va cantonner à Kerprich avec les restes du 58e RI. Plus haut, les Allemands attaquent Bidestroff, où sont retranchés le 112e RI et le 141e RI. Ceux-ci résistent toute la nuit, sous un feu incessant. Le 20 août, encouragée par un brouillard qui règne sur tout le champ de bataille, débute la grande contre-attaque allemande. " A 5h30 du matin, l'ordre est donné d'attaquer les positions françaises à l'ouest de Dieuze. Les Français avaient une position avancée dans les bois de Monack au nord-ouest de Vergaville. En dépit des obstacles (l'avoine très haute en était un dans les champs), nos mitrailleuses eurent bientôt raison de ces résistances. L'attaque à la baïonnette fut ordonnée contre l'aile droite. Les Français durent regagner leurs positions principales d'où leur artillerie tâchait de nous arrêter, mais en vain. Nous avancions toujours. Les champs jonchés de cadavres français montrent l'acharnement de la lutte. Notre artillerie prit l'ennemi sous ses feux. A gauche, les Français se replient sur Dieuze. Le chemin de Vergaville à Guebling était jonché de pantalons rouges. " Dès la pointe du jour, la fusillade et la canonnade recommencent. Dans les années 20, les survivants qualifieront ce vécu, d'holocauste. Dans la forêt de Bride-Koeking et au pied du bois de Monacker, la situation est la suivante : Les 40e RI et 58e RI se rassemblent à 4h45 à la lisière nord-ouest de Kerprich. 5h, le 3e bataillon du 40e RI est au sud du bois de Monacker. Le 1er bataillon à l'ouest de Guebestroff. Le 55e RI et le 173e RI sont à gauche dans la forêt de Bride, le 58e RI derrière eux. Le 61e RI est à droite au nord de Vergaville. Les Allemands progressent dans la forêt de Bride où la liaison avec le 20e Corps est mal assurée par ce bataillon du 173e RI, et qui, à la suite d'un ordre mal compris, s'est replié vers le Sud et a découvert la 59e brigade. " Le matin à l'aube, commencement du combat, toujours dans les bois ; beaucoup de camarades tués et disparus. " Le 3e Bataillon du 40e RI débordé, reçoit des feux de front et de flanc qui la déciment rapidement. Le 58e RI et le 1er Bataillon du 40e RI sont portés au nord de Guebestroff, et luttent désespérément. Le 2ème bataillon du 173e RI a été envoyé dans la forêt pour couvrir la gauche de la 30e DI mais le 55e RI l'ignore. Il devait en résulter un incident regrettable. À 6h du matin, des éléments d'abord clairsemés puis de plus en plus nombreux commencent à refluer du bois de Monacker. " Maintenant, l'ennemi marche ; il s'avance vers nous en lignes par petits bonds. Chaque tirailleur traîne avec lui une gerbe de blé ou d'avoine qu'il met devant lui dès qu'il s'arrête. Je vois tout cela très bien. " Le 2ème bataillon du 55e RI est anéanti. Le 3ème bataillon de son côté, se replie à Vergaville avec le 40e RI. La 30e division résiste jusqu'à 10h, alors lui parvient l'ordre de se replier. Le 61e RI abandonne Vergaville, le 58e RI et le 1er Bataillon du 40e RI débordés, commencent leur mouvement de repli. Une fusillade plus intense encore éclate dans la forêt. Un mouvement de panique se produit dans les rangs du 173e RI de Corse et du 55e RI d'Aix/Privas. Il y a eu une confusion dans la forêt, les deux régiments se sont tirés dessus ! Du côté de Vergaville, dès l'aube, l'attaque doit reprendre sur Benestroff. " Lorsque le matin arriva, nous entendîmes dans le lointain les coups de feu des éléments de sûreté qui se repliaient sur le village. C'était la formidable offensive allemande qui venait de se déclencher à son tour... Pour nous, il s'agit alors de parer au plus pressé... Nous ne restions pas inactifs, et mes hommes, abrités derrière leur mur, tiraient sans arrêt sur cette avalanche humaine ; car les troupes ennemies qui poussaient ainsi de l'avant et marchaient sur Dieuze, étaient vraiment nombreuses... " Avant son déclenchement, l'artillerie ennemie ouvre sur toute la zone occupée, un feu particulièrement violent et meurtrier. A l'abri de ce tir, une puissante et massive contre-attaque allemande est déclenchée sur nos troupes déjà très éprouvées. Les 6e et 23e B.C.A qui sont en pointe, décimés par le feu et pressés par un ennemi très supérieur en nombre, se retirent sur Dieuze en combattant. Au Nord-Est, à Bidestroff, l'infanterie bavaroise déferle par vagues énormes sur les positions françaises. " Bientôt, pendant que le soleil se levait, nous eûmes une vision qu'il vaut vraiment la peine d'évoquer. Environ à 800 mètres de nous se profilait une crête. A cette crête apparurent d'abord les patrouilleurs, puis les unités ennemies qui, brusquement, se déployaient lorsqu'elles arrivaient à la ligne de faîte. On voyait les fantassins grisâtres se porter en courant vers la droite et vers la gauche, et dégringoler la pente au plus vite pour aller chercher un abri dans un chemin creux, en progressant droit sur nous. " Le 112e R.I se maintient péniblement à Bidestroff où il avait passé la nuit. A 4h50, Pris à partie par un feu violent d'artillerie, combiné avec un mouvement offensif de l'infanterie allemande, des fractions du 141e RI commencent à battre en retraite. Vers 8h, l'ennemi à droite franchit le canal des Salines. Presque tout un bataillon est fait prisonnier. Le reste du 141e, abandonne, lui aussi, la position vers 9h. À 10h, l'ordre de repli est donné ! le 3e RI tente une contre attaque qui échoue puis recule par échelons. En position sur 2km Bidestroff-Wolfert, le 111e RI ne reçoit pas cet ordre car ses agents de liaison envoyés aux nouvelles ne sont pas revenus. Egalement attaqué avec violence dès 4h, sur la position 230-Wolfert-222, le 111e RI est abruti par les marmites et ses défenseurs anéantis. Il y résiste avec vigueur et ténacité jusqu'à 7h½. Son 2ème bataillon en vient même au corps à corps et doit laisser deux de ses compagnies aux mains de l'ennemi. Cerné par l'ennemi, le 111e RI est obligé de se replier. Les rescapés, à bout de force, retrouvant en chemin des fantassins égarés, se replient au sud et au nord de l'étang de Lindre, lieu où, en d'autres circonstances, nichent les cigognes. Toute la plaine de Dieuze est soumise à un feu formidable d'artillerie, d'infanterie et de mitrailleuses de l'ennemi qui est déjà au moulin de Bidestroff. Commencé en bon ordre, le mouvement de repli se précipite. Dans l'eau jusqu'au cou, parfois à la nage, le ruisseau et le canal des Salines sont franchis, certains se noient. A la douleur de ce repli s'ajoute la tristesse d'abandonner sur le champ de bataille des morts non encore ensevelis, et des blessés, qui, laissés après quelques soins hâtifs, sur le terrain de combat ou dans les villages voisins, allaient être capturés par l'ennemi et commencer le dur calvaire d'une longue captivité. Le 24e BCA a reçu à 9h30 l'ordre de tenir Zommange jusqu'à 11 h et de défendre le village à tout prix puis de se replier ensuite sur Guermange. A 10h55, dans une petite tranchée, une escouade entière est hors de combat : les survivants tirent encore leurs dernières cartouches sur le canal. Aucun ne peut se tenir debout. Les Allemands trouveront, à leur arrivée vers 11h50, des blessés incapables de se tenir debout ou des morts. Les 23e et 27e BCA, reformés rapidement vers midi, reçoivent l'ordre de se porter à Gelucourt, pour protéger le mouvement de repli de la Division et l'écoulement des convois et de l'artillerie du Corps d'Armée. A 13h, des troupes arrivent en foule à Gelucourt, infanterie, artillerie. C'est la retraite générale du 15e Corps. De divers côtés on entend des mots amers prononcés contre certains éléments d'infanterie qui auraient plié à Bidestroff, A l'opposé, d'autres accusent les chasseurs alpins d'avoir lâché les premiers. Deux mamelons dominant au nord le village et masquant, vers le sud, la vue de la plaine à travers laquelle se retirent les troupes, sont hâtivement organisés par les deux bataillons qui s'y accrochent jusqu'au soir. Une fusillade violente éclate sur les deux hauteurs. Deux mitrailleuses claquent sans interruption. Malgré la pression de l'ennemi, qui se glisse jusqu'à distance d'assaut à travers bois, malgré le feu de mitrailleuses invisibles qui battent sans relâche la position et déciment le détachement, le sacrifice de ces hommes, permet la retraite du 15e Corps. Bien avant la nuit, la plaine est libre, les convois se sont tous écoulés. Le reste de l'héroïque détachement bat en retraite à la nuit tombée. Espinasse, commandant le 15e corps, recense les pertes de ces deux jours, il a perdu 9 800 hommes et 180 officiers. Nos recherches ont répertorié 2 940 tués. Les effectifs rassemblés permettent la reconstitution d'un bataillon aux 40e, 58e et 111e et deux aux 3e, 55e, 61e, 112e et 141e. Chez les chasseurs, il ne reste que 1200 hommes au 6e, 350 au 23e, 1300 au 24e et 550 au 27e. Depuis le 10 août, 12 846 hommes ont été mis hors de combat au 15e Corps. Le 21 août, à 19h, Joffre téléphone à Messimy, ministre de la guerre : " L'offensive en Lorraine a été superbement entamée. Elle a été enrayée brusquement par des défaillances individuelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et nous ont occasionné de très grosses pertes. J'ai fait replier en arrière le 15e Corps, qui n'a pas tenu sous le feu et qui a été cause de l'échec de notre offensive. J'y fais fonctionner ferme les Conseils de Guerre " Le 24 août, à Paris en guise d'" épitaphe " de ces malheureux, paraît un article incendiaire dans Le Matin contre ces " troupes de l'aimable Provence " accusées d'avoir " lâché pied devant l'ennemi " article dicté par Messimy le ministre de la guerre en personne au sénateur-journaliste Gervais. La légende noire du 15e Corps venait de naître. Vexations publiques, insultes, refus de soins aux blessés, renvois en première ligne avant guérison " pas de lâches à l'hôpital ! " seront leur lot quotidien. La stupeur sera à son comble quand on apprendra que plusieurs soldats du 15e Corps furent fusillés pour l'exemple pour abandon de poste par mutilation volontaire, sans instruction ni interrogatoire préalables comme Odde du 24e BCA. Ils avaient quitté leurs oliviers pour les mirabelliers, leurs collines provençales pour les côtes lorraines, eux qui pour la plupart, n'étaient jamais sortis de leurs " bastides ".
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